Première au Luzernertheater, Lucerne, le 6 mai 2000. Chorégraphie pour 10 danseurs.
« Là où on veut avoir des esclaves, il faut le plus de musique possible. » (Tolstoï)
La musique.
D’où nous est-elle venue?
Elle est issue de l’intérieur de notre corps, de nos rythmes internes de vie, elle nous est essentielle.
Elle nous appartenait.
Nous avons durant des années développé avec elle nos rapports de création, de virtuosité, d’appartenance.
Elle nous été volée. Nous nous sommes volés la musique et c’est une part de nous qui nous manque. Comme nous manque celle, indissociable, du silence.
C’est de ce rapt que j’aimerais parler. Au travers de toutes les perversions que nous entretenons dans nos rapports avec la musique. La douceur, l’extase, la banalisation, l’asservissement, la dérive, la soumission, la fuite, de soi, de son propre silence.
De sa propre musique.
La Haine de la musique est une pièce forte. Une rupture entre ce qu’on a l’habitude d’entendre et ce qu’on a l’habitude de voir. Un choc éclatant duquel émerge une nouvelle perception: la couleur des sons naissants du corps des danseurs. Moments magiques : lorsque le silence devient musique du corps, la musique du corps devient silence. Pendant que l’ouïe capture le bruit, le regard suit la danse.
Je vois ce spectacle comme un voyage, qui nous entraîne sur les rivages méconnus de nos perceptions. Un voyage qui parle de perte et de retrouvailles. Un chemin vers nos sens, grâce à la danse, aux corps, origines de cette musique. La danse qui peut ici faire ce pourquoi elle est faite: rendre et garder sensible. Donc pas de constat passéiste (« l’heureux temps où la musique était rare… »). Pas de « morale », pas de leçon. De la même manière que nous avions abordé notre Etude sur la légèreté, sans plus de narration ni de poids.
Partant de la musique, ce spectacle va parler du silence. Des vibrations de ce silence. Celles d’une toile d’Agnès Martin. Comment parler du silence? Sur papier, sur scène? Se taire, ne plus écrire, danser, rayer l’espace d’une trace, et puis disparaître.
Et si l’arrêt n’était pas la mort?
La haine triomphe à Zurich
Dirigeant 11 interprètes, le chorégraphe lausannois pose un jalon dans les annales de la danse en Suisse. A l’opposé de ses précédents spectacles, une œuvre drôle et sexy d’inspiration jeune.
Avec 10 minutes de standing ovation lors de la création au Théâtre municipal de Lucerne au début du mois (la rumeur fait état de vingt), la nouvelle pièce de Philippe Saire; La haine de la musique, crée l’événement à Steps No7. Elle était l’invitée de la Gessneralle, ce week-end à Zürich et s’apprête à recevoir le public lausannois à Sévelin 36, cette semaine du 18 au 28 mai. Une pièce pour onze danseurs, c’est considérable pour une compagnie indépendante et un jalon important dans les annales de la danse suisse.
A l’opposé de La légèreté ou de Vie et mœurs du caméléon nocturne, c’est une pièce drôle, sexy, d’inspiration jeune et touchant un registre étonnamment nouveau dans le parcours parfois intellectuel, de Philippe Saire. Ce qui démontre une fois de plus la richesse de son potentiel. La pièce démarre curieusement par deux numéros parodiques de karaoké, superbement enlevés par Manuel Chabanis et Anne Delahaye, l’une des cinq nouvelles recrues de la compagnie. Comme pour boucler la boucle, elle se termine également sur le karaoké, avec Madelaine Piguet, transfuge de la Compagnie alias de Genève. Mais du karaoké dans une création de danse contemporaine? On sort des sentiers battus et l’on ne manque pas de se demander où veut en venir le chorégraphe. Caricature? Satire? Pieds de nez très ironique à l’endroit de la chanson et de la danse? Mystère.
Le titre, provocant, est emprunté au livre de Pascal Quignard. La musique « est issue de l’intérieur de notre corps, de nos rythmes internes de vie », explique le chorégraphe en s’inspirant des aphorismes de Quignard. Mais la pièce évolue dans son propre univers, indépendamment du livre en développant une relation de connivences, parfois organique, avec la musique au sens large, parfois même avec le public. Les parties originales sont dues au compositeur Arthur Besson qui mène le jeux, sur scène, avec sa guitare. Deux des danseurs Nabih Amaroui et Matthieu Burner le rejoignent de temps à autre, aux percussions et violoncelle. Ils vont et viennent entre danse et musique; comme la pièce elle-même. Le propos évolue par tranches successives, de phases de latence en subites envolées chorégraphiques très ludiques. Il n’est pas simple, au premier abord, de saisir dans quel registre elle se situe, d’autant qu’elle fait appel à des montages vidéo très soignés du vidéaste Enrique Fontanilles. Ceux-ci viennent se surajouter à la danse de concert avec des éclairages de Jean-Marie Bossard. Leur décryptage est aléatoire. On hésite donc un moment à entrer dans l’ambiance mais la relance est constante et surprenante. Parfois, ce sont les danseurs eux-mêmes qui deviennent l’instrument de percussion. L’ensemble, bien soudé, est très original.
La pièce est sobre et réglée avec une minutie 100% helvétique. La troupe est homogène, resplendissante et cette nouvelle création est un bon exemple de l’excellente santé de la création romande.
24 Heures, Lausanne, Patrice Lefrançois, mai 2000
Philippe Saire aime la musique pour mieux la haïr
[…] Le résultat est époustouflant. Et l’on a vite compris que pour créer un spectacle qui parle de la haine de la musique, de ses derives, il faut d’abord l’aimer. L’aimer pour son rythme, celui du piétinement des danseurs en l’occurrence, de leur respiration ou de leurs cris. L’aimer surtout pour la joie et l’exaltation que mystérieusement elle procure, à l’instar de ce morceau de fanfare tsigane, dans la meilleure tradition de Kusturica : les danseurs giclent dans l’air, rebondissent, s’entrechoquent et courent à toute allure, pour éclater dans leurs habits rouge et orange tel un feu d’artifice. Ainsi seulement on comprend les côtés sombres de la musique, assourdissants, asservissants même. Et nous voilà, le souffle à peine repris, les yeux rivés sur cette scène qui nous glace d’effroi, et qui montre un danseur dompté par un autre à l’aide d’une simple télécommande. Il court en rond comme une bête jusqu’à ce qu’il tombe de fatigue, en sueur.
Le Temps, Anna Hohler, mai 2000
Chorégraphie
Philippe Saire
Danse
Nabih Amaraoui,
Marion Ballester,
Matthieu Burner,
Manuel Chabanis,
Anne Delahaye,
Hideto Heshiki,
Sun-Hye Hur,
Annalisa Niero,
Nicholas Pettit,
Madeleine Piguet,
Corinne Rochet
Musique
Arthur Besson,
Philippe de Rham
Scénographie et création lumière
Jean-Marie Bosshard
Costumes
Anna Van Brée
Vidéaste
Enrique Fontanilles
Chorégraphie
Philippe Saire
Danse
Nabih Amaraoui,
Marion Ballester,
Matthieu Burner,
Manuel Chabanis,
Anne Delahaye,
Hideto Heshiki,
Sun-Hye Hur,
Annalisa Niero,
Nicholas Pettit,
Madeleine Piguet,
Corinne Rochet
Musique
Arthur Besson,
Philippe de Rham
Scénographie et création lumière
Jean-Marie Bosshard
Costumes
Anna Van Brée
Vidéaste
Enrique Fontanilles