Première le 16 septembre 2003 au CCN / Festival Le Temps d’aimer à Biarritz (F). Chorégraphie pour 6 danseurs.
Avec [ob]seen, Philippe Saire questionne les limites de ce qui peut être montré. Regardé. Ou non. Il pose la question: où se situe l’impudeur? Ceci alors que la règle, aujourd’hui est celle de l’obscénité, celle du « tout montrer » et du « tout voir ». Cette pièce se présente comme une réaction à une dérive. Aux images qui nous séduisent ou nous heurtent, elle oppose une exploration des sensations qui sont en jeu.
Cette nouvelle création se [dé]structure en deux parties. Dans un premier temps, elle met à nu les interprètes, disséquant le thème de l’obscénité en une série de scènes courtes. Les images se succèdent, directes, drôles, violentes, parfois choquantes. Puis, la seconde partie révèle l’impact des images de cette mise en exposition de l’individu, de son intimité, et des bouleversements que cela provoque. La danse s’impose alors avec force.
Cette thématique est à considérer comme un point de départ. Sa fonction est – avant tout – d’être un questionnement qui porte sur les limites de ce qui « peut » être montré. Ce qui « peut » être regardé. Ou non.
Sur le plan médiatique aussi bien que sur le plan artistique, on assiste à une mutation du regard par laquelle, de plus en plus, l’individu tend à s’exposer et à offrir son intimité jusqu’alors la plus secrète au regard de tous. Une forme de nudité qui dépasse largement la seule nudité physique. La sphère privée constituait jusqu’alors un repli toujours possible sur une vie qui n’appartient en somme qu’à l’individu. Cette sphère privée se trouve de plus en plus exposée, jusqu’à se dissoudre parfois dans la sphère publique.
Ce constat soulève de nombreuses questions :
Où se situe l’impudeur [voire l’obscénité] ? Chez le regardé, chez le regardant ? Car la règle ici est de « tout montrer » et « tout voir ».
Qu’est-ce que cela génère sur notre mode de vie, et nos relations ?
Et que deviennent nos rapports à l’Autre, de plus en plus vu, désiré au travers d’un écran ? Le corps se désincarne, on ne s’y confronte plus, on peut se dévoiler, on ne risque rien.
L’absence de récit, la règle explicite du « tout montrer » et du « tout voir », l’absence de tabous, autant de caractéristiques que l’on retrouve dans la pornographie… Troublant…
Par l’écran, la TV, l’Internet, le corps se désincarne. Il se contente d’informer. Sur scène, le corps est vecteur de quelque chose qui le dépasse, d’une humanité. Sur scène, un corps raconte, des corps induisent un récit. Des images banalisées retrouvent leur charge.
J’ai l’ambition que ce spectacle propose une réaction à cette dérive de l’intime rendu public, et du banal mis en représentation.
Tout ceci en accord avec la force de la danse, qui n’est pas de discourir, mais de toucher.
Ce processus a offert à chaque danseur un espace créatif. Nourris d’une recherche individuelle et d’une élaboration préalable, puis rassemblés pour Les Affluents, les danseurs étaient amenés dans un champ d’expérience très clairement plus riche et radical. Cela a également généré chez eux une très forte qualité de présence, aussi bien dans le travail que sur scène. Que le processus de création ait une implication très directe sur le spectacle semble une évidence. Je crois que c’est malgré tout souvent une évidence négligée. Pour ma part, depuis quelques années, j’accorde de plus en plus d’importance à cette élaboration, à chercher comment mener une équipe, l’embarquer dans un projet, gérer le temps de manière dynamique,…
Peut-être aussi parce je considère de plus en plus la création chorégraphique comme une aventure humaine. Ce processus est en constante évolution, il dépend des gens en présence et il faut aussi le mettre en adéquation avec le propos de la pièce.
De manière globale, le processus de création de la prochaine pièce [ob]seen alterne des périodes où je travaille avec tout le groupe, et des périodes consacrées à un travail seul à seul, ou avec deux danseurs. L’important est de donner à chacun temps et espace pour développer son potentiel et ses spécificités. De permettre concrètement que la pièce soit l’addition d’interprètes forts et investis.
Globalement, les matériaux de la pièce sont tout d’abord développés lors d’improvisations et de compositions rapides, comme autant d’esquisses, de croquis. Dans une deuxième étape, ces matériaux sont choisis, affinés, structurés pour aboutir au spectacle.
Là aussi, une manière de travailler s’est définie peu à peu, qui est peu usitée dans la danse : élaborer dès que possible la globalité, afin de toucher au sens de la pièce, à ses rythmes justes, à ses priorités.
Et ensuite travailler dans l’affinage des moments, et sur l’écriture de la danse. Le travail avec chacun des intervenants s’imbrique au processus de création dès le début. Il est planifié de manière à le relancer, le perturber, le nourrir, à établir un réel dialogue.
Nous tirons parti de l’opportunité que nous avons de travailler directement au Théâtre Sévelin 36, théâtre où le spectacle est présenté ultérieurement à Lausanne. Ce contexte nous offre la possibilité de travailler simultanément tous les ingrédients du spectacle. En raison de la thématique, un accent particulier est mis sur la lumière. Le traitement du spectacle, son aspect visuel, son dispositif scénique, autant d’éléments qui, comme autant de couleurs, sont malaxés, triturés, modifiés pour aboutir au résultat final. La lisibilité du propos, qu’elle tende vers la narration ou une forme plus évocatrice, va se déterminer en cours de travail.
Rappelons-le, un spectacle de danse s’écrit en même temps qu’il se travaille. Il faut tout faire pour tirer parti de la vitalité qui se dégage de cette situation.
[ob]seen à Lausanne.L’obscénité inspire Philippe Saire. La fièvre grise d’un peep-show. Six danseurs défilent, à la chaîne, sur un podium qui s’apparente à une cabine exhibitionniste. Un premier offre ses fesses au public. Une autre pétrira sa chair d’un air absent. Une troisième subira l’offensive, sous sa culotte, de mains adroites comme les pattes de l’araignée vilaine. Ces morceaux secs d’une sexualité sans grâce se bousculent dans [ob]seen, dernière création du chorégraphe Philippe Saire. D’une pose à l’autre, des solitudes déchirent l’ombre et s’effacent dans le silence. Jouissances cliniques. Sauve-qui-peut la vie. Les danseurs invitent à visiter un cul-de-sac qui ressemble à une certaine modernité ; les corps y sont pressés d’exulter et de disparaître, l’érotisme fait l’économie de la joie, l’autre est ravalé au rôle de faire-valoir. Dans la seconde partie, le mouvement reprend le dessus. Vague de révolte, peut-être.
Alexandre Demidoff, Le Temps, 11 novembre 2004
[ob]seen. Seul sur scène, le danseur nous tourne le dos, le pantalon descendu. Il écarte les fesses et nous invite à venir le « prendre », de la façon la plus directe qui soit. Derrière cette image choc, une réflexion. Ou plutôt une réaction au glissement du privé sur le devant de la scène. A travers sa chorégraphie, le Lausannois Philippe Saire questionne les limites de l’impudeur. Les flashs se succèdent, comme de courtes scène rôdant autour du loup pornographique. Provocations teintées d’humour, et jamais gratuites. Ici,les corps retrouvent tout leur poids, leur lourdeur, leur matérialité la plus imparfaite. Pétrie, malaxée, la chair revendique le toucher, les sensations du contact. Au ras du sol, les corps s’entrechoquent, luttent dans un mouvement commun presque inconscient. Fluide.
Anne-Sylvie Sprenger, L’Hebdo, 4 novembre 2004
Des danseurs dénudent l’obscénité. Dans [ob]seen, la Compagnie Philippe Saire confronte le public avec la banalisation actuelle de la sexualité et de l’intimité. […] Les images de femmes presque nues dans le journal ne vous font plus rien ? Il est temps de vous poser des questions… [ob]seen, le nouveau spectacle de danse de Philippe Saire se pose comme une réaction à la banalisation de l’intimité et de la sexualité dans les médias. Le bâton du pèlerin du chorégraphe lausannois ? Entretenir la sensibilité des spectateurs et leur regard critique sur l’évolution de la société. […]
Yvonne Tissot, L’express / L’impartial, 13 janvier 2004
L’effet de Saire et tout le tremblement. À Biarritz, avec le Temps d’aimer, on bouscule certaines conventions spectaculaires. Il est de dos, pantalon rabattu sur les pieds. Il écarte ses fesses nues à deux mains. Il implore : « Who wants to fuck me ? ». Pas de réponse, évidemment. Il ne se démonte pas, enduit ses doigts de salive, incite le public à prendre possession de la scène, donc de lui-même. C’est là le moment choc de la dernière chorégraphie de Philippe Saire, jeune artiste suisse, lauréat des 6e Rencontres chorégraphiques nationales de Seine-Saint-Denis en 1998. [ob]seen se présente d’abord sous la forme de zappings à teneur pornographique. La référence sexuelle se voit néanmoins torpillée par des pointes d’humour qui passent là, sans que l’on sache très bien d’où elles viennent. Trois hommes debout sur un ring semblent se masturber en douce. Leur main vibre dans le pantalon. Le public manifeste, gronde, abandonne la lutte. Le temps d’une éjaculation imaginaire, le trio disparaît en coulisses. La force de Philippe Saire réside en ces fusées de sens provocatrices. L’appui et le toucher sont les deux caractéristiques de son art excessif. Le partenaire, par exemple, on ne l’effleure pas, on l’empoigne, on le pétrit à pleine pâte, on le malaxe. La maîtrise est grande qui s’évade du sketch pour se hisser au mouvement pur. Le mouvement soulève le groupe par vagues, en un élan commun fait de chutes, de cogne, de vrilles ultra vitaminées. Philippe Saire invente-là un style horizontal, à ras du plancher. Il en est qui tremblent et se balancent à plat ventre, en gestes intérieurs, si bien qu’à les observer remuer de place en place, c’est l’espace lui-même qui semble liquide. »
Muriel Steinmetz, L’Humanité, 23 septembre 2003
« See, sex and fun. Ça commence en silence et presque sans bouger. Sur une table de billard sans moquette, les danseurs montent, un à un, puis en couple, à trois… s’exposant au regard. Mais ça ne suffit pas. Alors ils se déshabillent, se caressent, se masturbent. Ça ne suffit toujours pas. Vient encore un danseur. Alors lui, il met le paquet ! « Do you want to fuck me ? », lance-t-il en tournant le dos tout en baissant son pantalon. Évidemment, les candidats ne se pressent pas. Rappelons que nous sommes dans une salle de spectacle qui, à moitié éclairée, reste bien sous tous rapports. Mais lui, il insiste, joignant, d’une certaine façon, le geste à la parole. « Fuck you ! » conclut-il. La seconde partie de la pièce joue comme antithèse, une chorégraphie très finement écrite jouant sur les sensations de contact, les chutes et les tombés, les chassés-croisés du désir subtilement suggérés et magnifiquement dansés. [ob]seen de Philippe Saire joue sur les mots mais pas seulement. Derrière cette scène, elle montre les limites de la représentation en tant qu’exposition, et de son corollaire : l’impossibilité de ne jamais (en) voir assez. C’est extrêmement… bien vu ! »
Agnès Izrine, Danser, novembre 2003
Corps en liquidation. Angoissant et brut : [ob]seen en première suisse, création de Philippe Saire. […] Des guitares hurlent, les danseurs tombent les uns sur les autres, heurtent le sol avec violence, puis se relèvent à nouveau. A deux, trois ou quatre, ils cherchent à se soutenir mutuellement, mais finissent tous par se lâcher, par se manquer.
Le jeu des danseurs est subtilement pensé, empli de surprises et d’une précision affolante, son exécution est forte et chargée d’énergie. Aucune proximité, sensibilité ou finesse n’est laissée au hasard. La lumière vibre, s’allume et s’éteint tour à tour, balaie la scène par vague.
Certains gestes entre les jambes rappellent la première partie du spectacle de ce soir.
Et dans l’inconscient du spectateur, les obscénités précédentes sont toujours là. Ces premiers instants de la pièce renforcent l’effet angoissant et troublant des images de cette deuxième partie.
[…] La structure d’[ob]seen est rigoureuse et sans réserve. La première partie introduit le thème de l’obscénité avec la présentation du matériel récolté ; la seconde partie est un commentaire personnel du chorégraphe. Il ne laisse aucune question ouverte quand, à la fin, l’horloge revient à 0.
Julia Wehren, Der Bund, 22 septembre 2003
Chorégraphie en collaboration avec les danseurs
Philippe Saire
Assistante à la chorégraphie
Youtci Erdos
Danse
Karine Grasset Melgar,
Mickaël Henrotay Delaunay,
Sun Hye Hur,
Alexandre Iseli,
Mike Winter,
David Zagari
Scénographie
Massimo Furlan
Lumière
Laurent Junod
Son
Christophe Bollondi
Costumes
Isa Boucharlat
Régie générale
Yann Serez
Chorégraphie en collaboration avec les danseurs
Philippe Saire
Assistante à la chorégraphie
Youtci Erdos
Danse
Karine Grasset Melgar,
Mickaël Henrotay Delaunay,
Sun Hye Hur,
Alexandre Iseli,
Mike Winter,
David Zagari
Scénographie
Massimo Furlan
Lumière
Laurent Junod
Son
Christophe Bollondi
Costumes
Isa Boucharlat
Régie générale
Yann Serez